Criar uma Loja Virtual Grtis
Regarder en ligne L'Origine de la violence regarder en ligne 2160p

Prйparation а l’йpreuve orale de

Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inйgalitй parmi les hommes a йtй publiй en 1755, et rйdigй un an plus tфt, en rйponse au concours proposй par l’Acadйmie de Dijon. La mкme Acadйmie avait soumis en 1750 un autre sujet « Si le progrиs des arts et des sciences a contribuй а йpurer les mњurs », et Rousseau en avait obtenu le premier prix. Il n’aura pas cet honneur avec ce second discours, dont la pensйe novatrice a sans doute effrayй les membres du jury. Il s’agit donc de la seconde њuvre philosophique majeure de Rousseau, et marque un tournant dans sa vie et sa pensйe. Rousseau y poursuit la rйforme de sa pensйe amorcйe avec le premier discours et qui amиnera la rupture dйfinitive entre lui et les autres philosophes de lumiиres. Notons enfin qu’il est publiй moins de 8 ans avant le Contrat Social, dont il pose les prolйgomиnes.

Les Confessions ont йtй rйdigйes par Rousseau entre 1766 et 1778, dans la derniиre partie de sa vie, entre sa 54иme et sa 68иme annйe, et pour la partie qui nous concerne, en 1766-67. C’est donc l’њuvre d’un homme et d’un philosophe au crйpuscule de sa vie, une lecture rйcurrente de ce qui fut son histoire, une tentative pour donner une unitй et un sens а sa vie, d’accorder sa vie et son oeuvre. Ce n’est pas le passй qui ici donne un sens au futur, mais au contraire l’ensemble de sa vie et de son oeuvre qui permet une lecture de son enfance. C’est pour cela que l’on ne peut valablement comprendre Les Confessions sans prendre en compte les choix philosophiques et moraux de Rousseau tout au long de son existence et de son oeuvre.

1 - Rousseau et le problиme des origines

La question des origines joue un rфle capital dans toute l’њuvre de Rousseau, qu’il s’agisse de philosophie politique (Discours sur l’origine de l’inйgalitй. Contrat social ), ou de sa philosophie morale (Emile, ou de l’йducation. La nouvelle Hйloпse ) ou encore ici dans les Confessions.

comment connaоtre la source de l’inйgalitй parmi les hommes, si l’on ne commence par les connaоtre eux-mкmes. et comment l’homme viendra-t-il а bout de se voir tel que l’a formй la nature, а travers tous les changements que la succession des temps a dы produire dans sa constitution originelle, et de dйmкler ce qu’il tient de son propre fond d’avec ce que les circonstances et ses progrиs ont ajoutй ou changй а son йtat primitif ?

Discours sur l’origine de l’inйgalitй

Ces longs dйtails de ma premiиre jeunesse auront paru bien puйrils, et j’en suis fвchй. quoique nй homme а certains йgards, j’ai йtй longtemps enfant, et je le suis encore а beaucoup d’autres. Je n’ai pas promis d’offrir au public un grand personnage ; j’ai promis de me peindre tel que je suis ; et, pour me connaоtre dans mon вge avancй, il faut m’avoir bien connu dans ma jeunesse (. ) je m’applique а bien dйvelopper partout les premiиres causes pour faire sentir l’enchaоnement des effets

Les Confessions. livre 4, p

L’histoire, qu’elle soit celle du genre humain ou de l’individu, doit кtre rйfйrйe а son origine, pour bien en dйgager le sens. Bien entendu, cette reconstitution ne peut кtre qu’hypothйtique. l’enquкte historique ne peut, dans un cas comme dans l’autre nous faire revivre les faits.

Ainsi, l’йtat de nature est-il pour Rousseau « un йtat qui n’existe plus, qui n’a probablement pas existй, et qui probablement n’existera jamais, mais dont il est cependant nйcessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre йtat prйsent. » (Discours sur l’origine de l’inйgalitй ) La dйfinition de cet йtat de nature correspond dans le Discours а une exigence thйorique. on peut pour l’expliquer, utiliser la mйtaphore de l’йchiquier. Pour comprendre la situation inйgalitaire dans laquelle se trouvent deux joueurs d’йchecs au cours d’une partie, il faut bien sыr connaоtre les rиgles de marche des piиces, mais il faut aussi se rйfйrer а un йtat initial du jeu, qui n’existe plus, qui prйcйdait le jeu, c’est а dire la position initiale des piиces et l’йgalitй respective des deux camps avant la partie. Ceci va nous conduire а penser que ce n’est pas par nature que les hommes sont inйgaux entre eux, mais par histoire. Ce point conditionne la possibilitй d’une rйforme de la sociйtй, telle qu’elle sera entreprise par le contrat social.

De la mкme faзon, dans Les Confessions. la bontй originelle du jeune Jean-Jacques est la condition de possibilitй d’une rйforme ultйrieure de sa vie. Les vices (et les vertus) ne sont pas originellement dans son кtre, mais acquis par le commerce social des hommes.

Si l’on accepte l’idйe que le Rousseau-philosophe est celui qui lit, ou йcrit l’histoire du jeune Jean-Jacques, il peut кtre intйressant de mettre en perspective en face du texte des Confessions. le dйveloppement de l’histoire tel que nous le dйcrit le Discours. L’йtat de nature y est reprйsentй comme le nйgatif de l’йtat civil.

• 1712: Naissance а Genиve dans une famille d’origine franзaise; il йvoquera souvent sa qualitй de « Citoyen de Genиve ». Orphelin de mиre trиs jeune, il est confiй en 1722 а un pasteur, puis apprend le mйtier de graveur.

• 1723. Rencontre Madame de Warens qui lui fera donner une йduca­tion catholique. Annйes de pйrйgrinations entre Lausanne, Neufchв­tel, Paris, Chambйry, Lyon, Venise oщ il est secrйtaire de l’ambassa­deur de France.

• 1742: S’installe а Paris, se lie avec le milieu des encyclopйdistes en particulier Diderot, se rйpand dans la sociйtй mondaine, compose diverses oeuvres musicales; en 1745, dйbut d’une longue liaison avec Thйrиse Levasseur, lingиre, inculte, dont il aura cinq enfants qu’il abandonnera а l’Assistance Publique.

• 1750: Discours sur les Sciences et les Arts qui marque sa rupture avec l’optimisme du siиcle des Lumiиres.

• 1755: Discours sur l’origine de l’inйgalitй. Acquiert la cйlйbritй. Polй­miques nombreuses, en particulier avec Voltaire.

• 1756: S’installe au chвteau de Montmorency а l’invitation du Marй­chal de Luxembourg; il y compose l’Emile.

• 1762: La publication de l’Йmile et du Contrat Social le contraint аl’exil. Se rйfugie en Suisse, puis en Angleterre auprиs de Hume, avec lequel il se brouillera trиs vite.

• 1767: Retour en France; aprиs diverses rйsidences, il acceptera аErmenonville l’hospitalitй du marquis de Girardin.

• 1778: Meurt а Ermenonville, sйpulture dans l’оle des Peupliers puis en 1794, sйpulture nationale au Panthйon.

Tableau comparatif du Discours sur l’origine de l’inйgalitй et des Confessions

. mouvement nйgatif de la perfectibilitй, dйgradation de l’histoire, lumiиres funestes et inйgalitйs injustice, trahisons, vices corruption.

. mouvement positif de la perfectibilitй. rйforme de la sociйtй, rйforme de la vie de l’individu.

Que signifie pour Rousseau que « l’homme est naturellement bon ». Le concept de bontй n’est pas ici а prendre dans son acception morale. Il renvoie а la nature et il faut le traduire par « bon selon la nature ». En d’autres termes cela signifie qu’il ne connaоt comme loi que l’instinct de conservation et la pitiй naturelle :

« [l’homme] est retenu par la pitiй naturelle de faire lui-mкme du mal а personne sans y кtre portй par rien, mкme aprиs en avoir reзu»

La dйfinition hypothйtique de l’йtat de nature n’intиgre donc ni les notions de bien ou de mal, ni l’inйgalitй, ni l’injustice. Ainsi la rйforme de la sociйtй reste possible puisque l’homme а l’йtat de nature n’est pas originellement un « loup pour l’homme ».

Une analyse de mкme type peut кtre dйveloppйe а propos des premiиres pages de la premiиre des Confessions. (pp 43-55) Rousseau y dйcrit un vйritable йtat de nature de l’individu Jean-Jacques, prйsentй comme ni meilleur ni pire qu’un autre, gouvernй par sa seule sensibilitй. Dans cet йtat originel point de place non plus pour le mal ou le vice, ce qui, de la mкme faзon rend possible la rйforme de son existence. (de celle qui sera opйrйe vers sa 40иme annйe par Rousseau)

On entre dans l’histoire de maniиre identique dans les deux oeuvres. par un йvйnement symbolique qui donne le coup d’envoi de l’йvolution de l’homme. Dans le Discours. c’est la formule lapidaire qui inaugure la deuxiиme partie. « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire. ceci est а moi et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vйritable fondateur de la sociйtй civile. » Dans les Confessions. c’est l’йpisode du peigne cassй qui va mettre fin а l’йtat primitif et provoquer le mouvement de dйgradation de l’histoire personnelle.

L’homme entre donc dans l’histoire, celle du « bon sauvage » tout d’abord, sorte de halte йgalitaire et fragile aux commencements, puis dans la sociйtй civile, lente corruption de ses vertus originelles. Parallиlement, on pourrait considйrer que le retour chez le ministre Bernard et l’amitiй pour son cousin reprйsente pour Jean-Jacques la premiиre phase, encore bienheureuse de son existence sociale, mais que cette йtape va bientфt se dйgrader par la dйcouverte du vice et de l’injustice.

Quelle est donc la racine du « mal social », dans un cas comme dans l’autre. C’est la contradiction que Rousseau a identifiйe au sein de toute sociйtй et que Kant nommera plus tard « l’insociable sociabilitй ». C’est une double tension, une double exigence celle d’une part qui nous pousse а rechercher et а aimer notre prochain, car il nous est nйcessaire pour кtre nous mкme et, d’autre part celle qui nous pousse а satisfaire d’abord notre intйrкt propre, et la naissance de l’amour propre.

Sitфt que les hommes eurent commencй а s’apprйcier mutuellement, et que l’idйe de la considйration se fut formйe dans leur esprit, chacun prйtendit y avoir droit, et il ne fut plus possible d’en manquer impunйment pour personne. (..) Tout tort volontaire devint un outrage (. ) C’est ainsi que, chacun punissant le mйpris qu’on lui avait tйmoignй d’une maniиre proportionnйe au cas qu’il faisait de lui-mкme, les vengeances devinrent terribles et les hommes sanguinaires et cruels.

Ce conflit de l’intйrкt particulier et de l’amour du prochain, Jean-Jacques va le dйcouvrir dans les premiиres annйes de sa vie, et nous les prйsente dans Les Confessions dans une sйrie de crises morales (йpisode du peigne, tyrannie du maоtre d’apprentissage, vol du ruban, de l’abandon de Monsieur Le Maоtre) qui jalonnent le rйcit. Elles constituent aussi une dйgradation progressive de la nature originellement bonne de l’individu.

Qu’on se figure un caractиre timide et docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, et indomptable dans les passions ; un enfant toujours gouvernй par la voix de la raison, toujours traitй avec douceur, йquitй, complaisance, et qui n’avait pas mкme l’idйe de l’injustice, et qui, pour la premiиre fois, en йprouve une si terrible de la part prйcisйment des gens qu’il chйrit et respecte le plus. Quel renversement d’idйes. Quel dйsordre de sentiment. Quel bouleversement dans son coeur, dans sa cervelle, dans tout son petit кtre intelligent et moral.Les Confessions 1 p 56

La tyrannie de mon maоtre finit par me rendre insupportable le travail que j’aurais aimй et par me donner des vices que j’aurais haпs, tels que le mensonge, la fainйantise, le vol. Rien ne m’a mieux appris la diffйrence qu’il y a de la dйpendance filiale а l’esclavage servile que le souvenir des changements que produisit en moi cette йpoque. Naturellement timide et honteux, je n’eus jamais plus d’йloignement pour aucun dйfaut que pour l’effronterie. (. ) J’йtais hardi chez mon pиre, libre chez M. Lambercier, discret chez mon oncle ; je devins craintif chez mon maоtre, et dиs lors, je fus un enfant perdu.Les Confessions 1, p68

2 - Le concept de perfectibilitй

La diffйrence entre l’homme et l’animal peut кtre perзue chez Rousseau а deux niveaux.

L’homme est dans la nature en qualitй « d’agent libre », du moins en puissance. Cette qualitй se rйalise dans la sociйtй, les кtre humains doivent faire des choix. Lа oщ l’animal est toujours guidй par son instinct, rien ne peut assurer l’homme de la justesse de ses choix. Ainsi, dans Les Confessions Rousseau montre que, lorsqu’il fait un choix, d’autres possibilitйs s’offraient aussi а lui, qui probablement lui eussent apportй sinon la gloire, au moins la tranquillitй d’une vie rйguliиre. Cette capacitй pour l’homme de choisir fait de lui un кtre moral qui porte la responsabilitй de ses choix.

C’est la possibilitй tant de l’espиce que de l’individu, de devenir autre. Cela signifie qu’elle se dйveloppe aussi bien dans le sens du bien que dans le sens du mal. Contrairement а la pensйe dominante au XVIIIe (chez Voltaire, Condorcet ou Kant par exemple), le dйveloppement des facultйs de l’homme le conduit aussi bien а la dйchйance morale et au malheur, qu’aux lumiиres et au bonheur.

Ainsi il n’y a pas chez Rousseau de progrиs historique menant nйcessairement comme ce sera le cas dans la philosophie des lumiиres et plus tard chez Hegel et Marx, au bonheur des peuples. La rйforme n’est donc pas le rйsultat d’un dйterminisme historique, mais la volontй des peuples ou de l’individu de modifier le cours de sa vie.

3 - La rйforme d’une vie.

Postulat. tout кtre sensible et raisonnable, peut, а tout moment de sa vie, dйcrйter une rйforme morale de sa maniиre d’кtre, de son existence. Le mкme postulat s’applique aux peuples, et le contrat social peut кtre crйй par une volontй raisonnable а tout moment de leur histoire.

Rousseau, dans sa philosophie politique ou dans son histoire personnelle, distingue deux orientations а cette rйforme :

- La voie de la sensibilitй. qui privilйgie un retour а une vie simple et proche de la nature, et а une morale du cњur, ce а quoi correspondent L’Emile,Julie, ou la Nouvelle Heloпse. Les rкveries du promeneur solitaire.

- La voie de la raison et de la volontй bonne, qui correspond au Contrat Social

et а cette rйforme de la pensйe entreprise par Rousseau dans le Discours sur les sciences et les arts.

La rйforme est donc triple. intellectuelle, politique et morale.

C’est la rйforme inaugurale, qui dйbute par une sorte « d’illumination ». en chemin pour Vincennes, oщ il doit rendre visite а Diderot qui y est depuis peu incarcйrй, il lit dans Le Mercure de France l’annonce du programme de l’Acadйmie de Dijon pour le prix de morale de 1750 « Si le rйtablissement des sciences et des arts a contribuй а йpurer les mњurs » ; il en reзoit une sorte de choc qui dйcide, selon lui, d’une vйritable conversion. « A l’instant de cette lecture, je vis un autre univers, et je devins un autre homme ». Confessions. Livre VIII

Dans ce Discours, et dans celui qui suivra, le Discours sur l’origine de l’inйgalitй parmi les hommes (1754). Rousseau pose les bases de son oeuvre philosophique, et redйfinit а la fois le sens qu’il veut donner а son existence et le rфle qu’il s’assigne en tant qu’йcrivain. Cette rйforme intellectuelle se veut rupture d’avec la recherche de la vaine gloire dans les salons, d’avec les illusions « du progrиs indйfini des lumiиres » (Condorcet). C’est aussi elle qui sera la source des animositйs fйroces qu’il affrontera jusqu’а la mort.

« Comme je ne songeais plus а mon Discours, j’appris qu’il avait remportй le prix а Dijon. Cette nouvelle rйveilla toutes les idйes qui me l’avaient dictй, les anima d’une nouvelle force, et acheva de mettre en fermentation dans mon cњur ce premier levain d’hйroпsme et de vertu que mon pиre et ma patrie, et Plutarque, y avaient mis dans mon enfance. Je ne trouvais plus rien de grand et de beau que d’кtre libre et vertueux, au-dessus de la fortune et de l’opinion, et de se suffire а soi-mкme . »

Rйforme politique (Du contrat social 1762) :

La raison, hйritйe de l’existence sociale, peut aussi bien, avons-nous vu, servir au malheur des hommes qu’а leur bonheur. Le Contrat social poursuit cette derniиre fin :

« Trouver une forme d’association qui dйfende et protиge de toute la force commune la personne et les biens de chaque associй, et par laquelle chacun, s’unissant а tous, n’obйisse pourtant qu’а lui-mкme, et reste aussi libre qu’auparavant »

La rйalisation d’un tel projet requiert la satisfaction de trois exigences rationnelles :

- L’йgalitй de tous devant le contrat

- La rйciprocitй des droits et des devoirs

- L’unanimitй de la soumission а la loi.

Il est pour Rousseau le pacte fondateur de toute sociйtй de droit et exige de chacun l’abandon de sa libertй naturelle au profit d’une libertй sous les lois, ce qui rйalisera cette exigence d’йthique rationnelle postulйe par Rousseau et que Kant redйcouvrira plus tard :

« L’obйissance а la loi qu’on s’est prescrite est libertй »

Elle fait principalement appel а la sensibilitй. Elle est prйventive (dans l’Emile ), curative (dans La Nouvelle Hйloпse ), et s’offre comme exemple dans Les Confessions.

L’Emile (1761) dйveloppe le projet d’une йducation « nйgative » qui consiste а soustraire l’enfant et l’adolescent а la contagion du mal social. Il vise а йpanouir la bontй naturelle d’Emile. Il est йduquй dans une sorte de bulle idйale, sous la conduite d’un gouverneur йclairй. Par contraste, les quatre premiиres confessions nous offrent le spectacle d’une йducation ratйe, laissйe aux hasards des fвcheuses rencontres et pervertie par la faillite ou la dйmission des йducateurs.

Julie, ou la nouvelle Hйloпse (1761) est une sorte de « traitй de morale sensitive expйrimentale » qui met en scиne un jeune couple d’amoureux soumis а la tentation de l’adultиre, et qui triomphera grвce а la puretй morale originelle de Julie, que la sociйtй n’a pas rйussi а dйtruire.

Dans Les Confessions . (а partir de 1764) Rousseau propose sa vie en exemple, non pas au sens d’un modиle moral а suivre, mais dans celui de l’illustration des thиmes de la bontй naturelle, de la perversion de la perfectibilitй dans la sociйtй. « Les hommes en gйnйral ne sont point ceci ou cela, ils sont ce qu’on les fait кtre », et de la rйforme morale toujours possible de son existence, telle qu’il va la dйcrire а partir du livre VIII des Confessions

Pour conclure de cette mise en perspective du Discours sur l’origine de l’inйgalitй et des premiers livres des Confessions, il est intйressant de mettre en regard deux textes :

J’ai tвchй d’exposer l’origine et le progrиs de l’inйgalitй, l’йtablissement et l’abus des sociйtйs politiques autant que ces choses peuvent se dйduire de la nature de l’homme par les seules lumiиres de la raison, et indй­pendamment des dogmes sacrйs qui donnent а l’auto­ritй souveraine la sanction du droit divin. Il suit de cet exposй que l’inйgalitй, йtant presque nulle dans l’йtat de nature, tire sa force et son accroissement du dйveloppe­ment de nos facultйs et des progrиs de l’esprit humain et devient enfin stable et lйgitime par l’йtablissement de la propriйtй et des lois. Il suit encore que l’inйgalitй morale, autorisйe par le seul droit positif, est contraire au droit naturel, toutes les fois qu’elle ne concourt pas en mкme proportion avec l’inйgalitй physique; distinc­tion qui dйtermine suffisamment ce qu’on doit penser а cet йgard de la sorte d’inйgalitй qui rиgne parmi tous les peuples policйs; puisqu’il est manifestement contre la loi de nature, de quelque maniиre qu’on la dйfinisse, qu’un enfant commande а un vieillard, qu’un imbйcile conduise un homme sage et qu’une poignйe de gens regorge de superfluitйs, tandis que la multitude affamйe manque du nйcessaire.

Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exйcution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer а mes semblables un homme dans toute la vйritй de la nature ; et cet homme ce sera moi.

Moi seul. Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’кtre fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jetй, c’est ce dont on ne peut juger qu’aprиs m’avoir lu.

Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre а la main me prйsenter devant le souverain juge. Je dirai hautement ; voilа ce que j’ai fait, ce que j’ai pensй, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la mкme franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajoutй de bon, et s’il m’est arrivй d’employer quelque ornement indiffйrent, ce n’a jamais йtй que pour remplir un vide occasionnй par mon dйfaut de mйmoire ; J’ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l’кtre, jamais ce que je savais кtre faux. Je me suis montrй tel que je fus, mйprisable et vil quand je l’ai йtй, bon, gйnйreux, sublime, quand je l’ai йtй. j’ai dйvoilй mon intйrieur tel que tu l’as vu toi-mкme. Etre йternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes semblables ; qu’ils йcoutent mes confessions, qu’ils gйmissent de mes misиres. Que chacun d’eux dйcouvre а son tour son coeur aux pieds de ton trфne avec la mкme sincйritй ; et puis qu’un seul te dise s’il l’ose. Je fus meilleur que cet homme-lа.

Discours sur l'origine de l'inйgalitй parmi les hommes [2]

- 157-159 (“. pour arriver au succиs”) Prйsentation de la perspective de travail de Rousseau. Il s’agit d’une recherche portant sur la nature originelle de l’homme. Rousseau se propose de nous montrer quelle est l’essence de l’humanitй, c'est а dire comment on peut reconstruire hypothйtiquement l’homme, tel qu’il devait кtre avant le dйbut de l’histoire, et tel qu’il est encore sous un йpais manteau de productions sociales. Ceci correspondra а la premiиre partie du discours.

- 160- 161 (“. la voix de la nature). Rousseau йtudie ici un des termes du sujet proposй. la “loi naturelle”.

- 161-163. opposition du raisonnable et du sensi­ble il y a au fond de nous des principes qui ne nous sont pas dictйs par la raison, mais par notre nature mкme, notre propre conservation, et surtout la pitiй naturelle; principes dйfinis comme antйrieurs а toute opйration de l’entendement.

B – INTRODUCTION (167-169)

- 167-169 diffйrence entre inйgalitй naturelle et morale

- Rousseau situe mieux encore la perspective du discours. il s’agit d’йcrire l”histoire hypothйtique ” de l’humanitй, moins en dйcrivant des faits qu'en posant des hypothи­ses rationnelles. On pourra donc comparer l'hypothиse de l’Etat de nature aux axiomes que le mathйmaticien, le logicien ou le physicien utilisent pour fonder leurs systиmes. Ou encore, il s’agit, en comparant l'Histoire а une partie d'йchecs, de placer les piиces. et de dйfinir leur ordre de marche avant que ne commence la partie.

- p. 169 (Ф, homme. ). exhorte а l’humanitй.

C – PREMIERE PARTIE (170-221)

- 170-182 Dйfinition de la vie physique de l’Homme а l'йtat de nature. L’idйe principale de ce passage est l’harmonie univer­selle de la nature et de la Providence. tout est prйvu pour la subsistance des кtres vivants et l'homme n’est pas plus dйsavantagй qu’un autre

- 182-198. qualitйs morales de l’homme а l'йtat de nature. en quoi diffиre-t-il de l’animal. Sentiment do soi, perfectibilitй. Opposition entre les dйsirs de I’homme а l'йtat de nature est l’homme civil. L’homme а l'йtat de nature dйfini comme une sorte de sage йpicurien qui s'ignore.

- 198-209. analyse de l'origine des langues. le langage est dйjа une forme complexe qui ne saurait exister dans l'homme а l'йtat de nature. Ici on ne trouve que le “ cri de la nature ”.

- 209-210 reprise dans les pages qui suivent de la dйfinition de l’E de N tel qu’il a йtй envisagй jusqu’а prйsent

- 210-215 opposition а la thиse de Hobbes [3]

- 215-218 Comportement sexuel de l’Homme а l'йtat de nature. La sociйtй crйe d’elle mкme les conflits, les troubles, et la violence. 216. distinction entre le moral et le physique dans l’amour Rousseau. Absence d’apprйciations qualitatives dans l’homme а l'йtat de nature.

- 218-221 Conclusion de la premiиre partie. synthиse de ce qui a йtй dit prйcйdemment ; reprise de l’opposition а Hobbes (enfant robuste).

- 221J'avoue que les йvйnements..". passage important car il prйcise de nouveau la perspective de travail de Rousseau. Il annonce en fin la seconde partie ; quelle suite d'йvйnements va permettre le passage de l'Etat de Nature а l’Histoire.

D – SECONDE PARTIE (222-257)

- 222-228 Transition entre l’йtat de nature et l’йtat civil. la sociйtй primitive, « le bon sauvage ». Il s’agit de dйcrire la lente progression hors de l’йtat de nature et de justifier en vraisemblance ce que l’on postule en tout dйbut de seconde partie comme une rupture, un acte symbolique. « le premier qui ayant enclos un terrain dйclara « ceci est а moi » et trouva des gens assez simples pour le croire… »

- 228-9 Texte charniиre, d’oщ l’on peut considйrer l’ensemble de la perspective de Rousseau dans le Discours ; c’est а partir de ce texte que nous proposons de dйvelopper l’ensemble de l’explication de l’њuvre.

- 229- 257. Mouvement de dйgradation de l’histoire. mise en њuvre de la perfectibilitй, dйveloppement des lumiиres et de l’inйgalitй en mкme temps. (partie non expliquйe dans le prйsent cours).

DISCOURS SUR L’ORIGINE DE L’INEGALITE

Cette brиve analyse se propose de partir de l’йtude du texte ci-dessous [4]. servant de point de dйpart а une prйsentation des thиses de Rousseau dans le discours. Les textes essentiels du discours seront йtudiйs au fur et а mesure de leur rencontre, en cours d’explication de ce fragment.

A mesure que les idйes et les sentiments se succиdent, que l’esprit et le cњur s’exercent, le genre humain continue а s’apprivoiser, les liaisons s’йtendent et les liens se resserrent On s’accou­tuma а s’assembler devant les cabanes ou autour d’un grand arbre :le chant et la danse, vrais enfants de l’amour et du loisir, devinrent l’amusement et plutфt l’occupation des hommes et des femmes oisifs et attroupйs. Chacun commenзa а regarder les autres et а vouloir кtre regardй soi-mкme, et l’estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux, le plus beau, le plus fort, le plus adroit, ou le plus йloquent, devint le plus considйrй; et ce fut lа le premier pas vers l’inй­galitй, et vers le vice en mкme temps. de ces premiиres prйfйrences naquirent d’un cфtй la vanitй et le mйpris, de l’autre la honte et l’envie et Ia fermentation causйe par ces nouveaux levains produisit enfin des composйs funestes au bonheur et а l’innocence,

Sitфt que les hommes eurent commencй а s’apprйcier mutuellement et que l’idйe de la considйra­tion fut formйe dans leur esprit, chacun prйtendit y avoir droit, et il ne fut plus possible d’en man­quer impunйment pour personne, De lа sortirent les premiers devoirs de la civilitй, mкme parmi les sauvages; et de lа, tout tort volontaire devint un outrage, parce qu’avec le mal qui rйsultait de l’injure l’offensй y voyait le mйpris de sa per­sonne, souvent plus insupportable que le mal mкme. C’est ainsi que, chacun punissant le mйpris qu’on lui avait tйmoignй d’une maniиre propor­tionnйe au cas qu’il faisait de lui-mкme, les vengeances devinrent terribles, et les hommes sanguinaires et cruels. Voilа prйcisйment le degrй oщ йtaient parvenus la plupart des peuples sauvages qui nous sont connus; et c’est faute d’avoir suffisamment distinguй les idйes, et remarquй combien ces peuples йtaient dйjа loin du premier йtat de nature, que plusieurs se sont hвtйs de conclure que l’homme est naturellement cruel, et qu’il besoin de police pour radoucir ; tandis que rien n’est si doux que lui dans son йtat primitif lorsque, placй par la nature а des distances йgales de la stupiditй des brutes et des lumiиres funestes de l’homme civil, et bornй йgalement par l’instinct et par la raison а se garantir du mal qui le menace, il est retenu par la pitiй naturelle de faire lui-mкme du mal а personne, sans y кtre portй par rien, mкme aprиs en avoir reзu. Car, selon l’axiome du sage Locke, il ne saurait y avoir d’injure oщ il n’y a point de propriйtй.

1 – Prйsentation du texte.

1.1 - Son importance dans le discours

- au dйbut de la seconde partie ;

- texte charniиre entre la premiиre partie et la seconde. Il traite du passage de l'йtat de nature а l'йtat social. On pourrait d'ailleurs dire que le discours se divise en trois parties (prйcйdйes d'une prйface et d'une introduction)

- Premiиre partie. de l'Etat de nature

- Seconde partie. les dйbuts de l'histoire. la phase de transition entre les deux йtats. Cette partie inclurait notre texte et les paragraphes suivants (jusqu'au paragraphe 21)

- Troisiиme partie. le mouvement de dйgradation de l'histoire, de la sociйtй sauvage primitive а la tyrannie.

- Ce texte possиde une vertu йclairante sur la totalitй du discours. Il est comme un sommet d'oщ l'on peut envisager l'ensemble de l'argumentation. En effet, on peut y trouver une synthиse de l'йtat de nature, du passage а l'йtat social, et l'amorce de ce qui va suivre. le caractиre inйluctable du mouvement de dйgradation.

1.2 - Articulations du texte

- Il est bвti autour d’une opposition entre :

- Nous verrons plus loin que :

- Le premier paragraphe correspond а la perspective descriptive, il s’agit pour Rousseau de rendre compte dans la durйe du passage entre йtat de nature et йtat civil.

- Le second paragraphe correspond lui а la perspective thйorique. il s’agit ici pour Rousseau d’unifier les divers changements affectant l’homme sous un seul point de vue qui rendra compte synthйtiquement du changement.

On reviendra plus loin sur le sens de ce double mouvement descriptif/thйorique

- Mais dans le second paragraphe, on relиve une autre rupture. « Voilа prйcisйment (…) Il ne saurait y avoir d’injure oщ il n’y a point de propriйtй».

C’est ici que nous trouvons exprimйe la conception rousseauiste de la sociйtй originaire, sorte de juste milieu entre l’йtat de nature et l’йtat civil, palier provisoire et fragile du mouvement de l’histoire.

Quel sens faut-il accorder au terme « d’йtat primitif ». Une erreur de lecture serait de considйrer que l’auteur parle ici de l’йtat de nature, alors qu’il veut dйsigner les premiиres sociйtйs. Il serait alors intйressant de rechercher l’argument dйcisif qui montre qu’il ne s’agit pas de cet йtat de nature. c’est bien sыr l’usage de la raisonbornй йgalement par l’instinct et par la raison » absente, dans la conception que Rousseau se fait de l’йtat de nature.

Laissant donc tons Ies livres scientifiques qui ne nous apprennent qu’а voir, les hommes tels qu’ils se sont faits, et mйditant sur les premiиres et plus simples opйrations de l’вme humaine, j’y crois apercevoir deux principes antйrieurs а la raison, dont l’un nous intйresse ardemment а notre bien-кtre et а la conservation de nous-mкmes, et l’autre nous inspire une rйpugnance naturelle а voir pйrir ou souffrir tout кtre sensible, et princi­palement nos semblables. C’est du concours et de la combinaison que notre esprit est en йtat de faire de ces deux principes, sans qu’il soit nйces­saire d’y faire entrer celui de la sociabilitй, que me paraissent dйcouler toutes les rиgles du droit natu­rel ; rиgles que la raison est ensuite forcйe de rйta­blir sur d’autres fondements, quand, par ses dйveloppements successifs, elle est venue а bout d’йtouffer la nature.

Cette difficultй d’interprйtation nous permet d’introduire une perspective synthйtique dans la comprйhension Discours. il semble que ces quelques phrases prйsentent la structure d’argumentation de l’ensemble du Discours :

« Stupiditй des brutes » « Douceur primitive » « lumiиres funestes de l’homme civil »

Etat de nature Sociйtй primitive Etat civil

« bon sauvage » Inйgalitйs

Dans cette hypothиse de lecture, il me paraоt intйressant de commencer l’explication de ce passage par ce dernier paragraphe, en ce qu’il permet de reprendre les thиses de la premiиre partie du Discours. d’en comprendre l’importance thйorique, dans son opposition а l’autre moment discursif, la dйgradation des sociйtйs dans l’histoire et leur chute dans l’inйgalitй.

2– Explication du dernier paragraphe

2.1– Ce qu’on peut d’abord remarquer, c’est la rigueur mathйmatique adoptйe ici par Rousseau, et qui se prйsente sous la forme de l’йgalitй de rapports :

Etat de nature Sociйtй sauvage

Sociйtй sauvage Etat civil

Il y a la mкme distance du pur йtat de nature а la sociйtй sauvage qu’il y en a entre la sociйtй sauvage et l’йtat civil. ( а des distances йgales )

D’autre part, la sociйtй sauvage rйalise une йgalitй stricte entre instinct et raison :

Instinct < vie sauvage > raison

Dans ces rapports, deux termes nous sont connus.

- l’йtat civil, dont nous pouvons constater le caractиre inйgalitaire, oщ la richesse supplante le mйrite, йtat dont la tyrannie est la derniиre expression. Il sera question de l’йvolution de l’humanitй vers cet йtat dans la suite du discours, oщ Rousseau s’emploiera а retracer par quels cheminements successifs l’homme en arrive а se soumettre а la tyrannie.

- La sociйtй sauvage dont Rousseau nous dit que c’est « l‘йtat dans lequel se trouvent la plupart des peuples sauvages qui nous sont connus »

- L’inconnue de ce rapport est l’йtat de nature, dont nous ne pouvons que supposer thйoriquement l’existence, mais qui ne se laisse pas observer ;

« Un йtat qui n’existe plus, qui n’a probablement point existй, qui probablement n’existera jamais, et dont il est cependant nйcessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre йtat prйsent »

terme cependant nйcessaire comme on le verra, dans le systиme de la philosophie politique de Rousseau, et sans doute hypothиse fondatrice de la possibilitй mкme de l’йtablissement d’un contrat social.

Rousseau va reprendre ici en quelques mots les caractйristiques essentielles de cet йtat de nature, caractйristiques plus longuement dйveloppйes dans la premiиre partie du Discours. Analysons ces caractиres а partir des trois mentions йvoquйes ici :

- Stupiditй des brutes

- Instinct а se garantir du mal qui le menace

2.2– L’йtat de nature

- La stupiditй des brutes :

On peut entendre ce terme de stupiditй selon deux significations 2. la stupiditй, c’est йtymologiquement la « stupor », йtat d’engourdissement, d’immobilitй. On dit encore aujourd’hui « rester stupide devant tel ou tel йvйnement », pour dire rester sans rйaction. C’est aussi, dans un sens plus proche de nous l’absence de connaissance, l’absence de jugement.

Le premier sens se dйcline selon deux axes :

Mкme si Rousseau dйfinit l’homme а l’йtat de nature comme «errant et vagabond », on peut comprendre que c’est ce manque « assiette fixe », de lieu qui lui soit propre qui fait de lui un кtre a-topique. un кtre hors de l’espace [5]

L’homme а l’йtat de nature est йgalement a-chronique. hors du temps, perdu dans l’instant, dans l’йvйnement. Il ne projette rien. Il n’y a pas d’histoire de l’йtat de nature, rien ne s’y passe que le cours sans heurts de la nature.

Son вme, que rien n’agite, se livre au seul sentiment de son existence actuelle sans aucune idйe de l’avenir, quelque prochain qu’il puisse кtre ; et ses projets, bornйs comme ses vues, s’йtendent а peine jusqu’а la fin de la journйe. Tel est encore aujourd’hui le degrй de prйvoyance du Caraпbe. il vend le matin son lit de coton, et vient pleurer le soir pour le racheter, faute d’avoir prйvu qu’il en aurait besoin pour la nuit prochaine.

- L’engourdissement des facultйs de l’homme а l’йtat de nature

On peut remarquer que ces facultйs sont toutes prйsentйes de maniиre nйgative par Rousseau, qui dйfinit ainsi un кtre passif.

- La conservation est dйfinie comme le soucis d’йviter la douleur, (et non la mort, puisqu’il n’y a pas de conscience de la mort), et de survivre, lui et l’espиce.

- La pitiй naturelle n’est pas non plus une facultй prйsentйe positivement. elle est dйfinie comme la tendance а faire du mal а personne, mкme aprиs en avoir reзu.

- Le caractиre d’engourdissement des facultйs est encore plus net en ce qui concerne la perfectibilitй . c’est а dire la facultй de changer d’йtat, mais qui n’est qu’une facultй « en puissance », c’est а dire potentielle.

Mais, quand les difficultйs qui environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer sur cette diffйrence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualitй trиs spйcifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation; c’est la facultй de se perfection­ner, facultй qui, а l’aide des circonstances, dйve­loppe successivement toutes les autres, et rйside parmi nous tant dans l’espиce que dans l’individu; au lieu qu’un animal est au bout de quelques mois ce qu’il sera toute sa vie, et son espиce au bout de mille ans ce qu’elle йtait la premiиre annйe de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet а devenir imbйcile? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son йtat primitif, et que, tandis que la bкte, qui n’a rien acquis et qui n’a sien non plus а perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme, reperdant par la vieillesse ou d’antres accidents tout ce que sa perfectibilitй lui avait fait acquйrir, retombe ainsi plus bas que la bкte mкme?

On peut dire que cette perfectibilitй n’est prйsente dans l’йtat de nature que pour une raison thйorique. il faut bien que l’homme soit perfectible, car sinon, comment rendre compte qu’il puisse quitter l’йtat de nature. Perfectibilitй n’est donc pas ici perfection et l’homme, dans l’йtat de nature ne fait aucun progrиs. Notons aussi que seuls, instinct de conservation et pitiй naturelle sont des qualitйs authentiques de l'homme а l'йtat de nature. la perfectibilitй est introduite pour une exigence logique de non-contradiction. (elle permet de distinguer l'homme dans l'йtat de nature du simple animal)

- Concernant la stupiditй au sens de l'absence de jugement. (pas de "lumiиres "), on peut dire que c'est une des principales caractйristiques de l’йtat de nature: la raison en est absente, sans doute parce que les passions elles-mкmes y sont- trиs peu rйpandues "nous ne cherchons а connaоtre que parce que nous dйsirons de jouir "

Quoi qu’en disent les moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi. c’est par leur activitй que notre raison se perfectionne; nous ne cherchons а connaоtre que parce que nous dйsirons de jouir ; et il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni dйsirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner.

Les passions а leur tour tirent leur origine de nos besoins, et leur progrиs de nos connaissances ; car on ne peut dйsirer ou craindre les choses que sur les idйes qu’on en peut avoir, ou par la simple Impulsion de la nature; et l’homme sauvage, privй de toute sorte de lumiиre, n’йprouve que les pas­sions de cette derniиre espиce ; ses dйsirs ne passent pas ses besoins physiques (h) ; les seuls biens qu’il connaisse dans l’univers sont la nourriture, une femelle et le repos; les seuls maux qu’il craigne sont la douleur et la faim, Je dis la douleur et non la mort; car jamais l’animal ne saura ce que c’est que mourir; et la connaissance de ta mort et de ses terreurs est une des premiиres acquisitions que l’homme ait faites en s’йloignant de la condi­tion animale.

Mais cette absence de progrиs dans les connaissances est aussi liйe а l'absence de langage. L'HEN ne parle pas. Pas de possibilitй d’йchanges, de transmission des idйes, de dйcouvertes, pas de possibilitй d'йnoncer des idйes gйnйrales, des concepts. Le seul langage dans l'EN, c'est le "cri de la nature "

- Avant de clore cette prйsentation de l'EN, il faut insister sur ce qui semble unifier la prйsentation des divers caractиres de l'HEN. la nйgation :

Concluons qu’errant dans les forкts, sans indus­trie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaison, sans nul besoin de ses semblables comme sans nul dйsir de leur nuire peut-кtre mкme sans jamais en reconnaоtre aucun individuelle­ment, l’homme sauvage, sujet peu de passions, et se suffisant а lui-mкme, n’avait que les sentiments et les lumiиres propres а cet йtat; qu’il ne sentait que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu’il croyait avoir Intйrкt de voir, et que son Intelli­gence ne faisait pas plus de progrиs que sa vanitй. Si par hasard il faisait quelque dйcouverte, il pouvait d’autant moins la communiquer qu’il ne reconnaissait pas mкme ses enfants. I’art pйrissait avec l’inventeur. Il n’y avait ni йducation, ni progrиs; les gйnйrations se multipliaient Inutile­ment; et, chacune partant toujours du mкme point, les siиcles s’йcoulaient dans toute la gros­siиretй des premiers вges ; l’espиce йtait dйjа vieille, et l’homme restait toujours enfant

La conclusion que nous pouvons en tirer est que cela marque la volontй de Rousseau de bien prйsenter l’йtat de naturecomme une hypothиse thйorique qui puisse servir а analyser les deux autres termes du rapport. la sociйtй sauvage et sa dйgradation dans l'йtat civil. L'HEN n'est, selon Rousseau, rien ; c'est un "йtat qui n'existe plus, qui n'a peut-кtre point existй, qui probablement n'existera jamais, mais dont il est pourtant nйcessaire d'avoir des notions justes pour bien juger de notre йtat prйsent "

Il fait ici њuvre de thйoricien de l'histoire, et non d'historien. les faits l'intйressent moins que les hypothиses rationnelles, tout au plus cherche-t-il а les fonder en vraisemblance.

Commenзons clone par йcarter tous les laits, car ils ne touchent point а la question. Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet pour les vйritйs historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothйtiques et conditionnels plus propres а йclaircir la nature des choses qu’а en montrer la vйritable origine, et semblables а ceux que font tous les jours nos phy­siciens sur la formation au monde.

L'utilitй de cette recherche sur l’йtat de nature est а comprendre en considйrant le rapport mathйmatique que nous relevions plus haut. Pour bien juger des deux termes, et surtout pour bien comprendre notre situation prйsente, il faut connaоtre le terme manquant.

L'йtat de nature, c'est la mesure pour rien de l'histoire oщ Rousseau dйfinit l'йtat d'un systиme en repos, dont tout la force est contenue dans ses axiomes.

Pour comprendre une partie d'йchecs qui est dйjа commencйe, pour comprendre la situation inйgalitaire qui semble rйgner entre les deux joueurs (l'un semble l'emporter sur l'autre, il n'ont plus le mкme nombre de piиces), il faut connaоtre la marche des piиces, mais aussi il faut se rйfйrer а l'йtat initial, la position des piиces sur l'йchiquier avant le dйbut de la partie. Ainsi se propose de faire Rousseau pour l'histoire. pour bien comprendre l'origine de l'inйgalitй, il suggиre de revenir а l'йtat initial, virtuel, tel qu'on peut le reconstruire thйoriquement [6]

Conclusion sur l’йtude de ce passage :

Avant de dйvelopper en quels termes Rousseau envisage le passage de l’йtat de nature а l’йtat civil, et en quels termes il l’envisage, il nous reste а rendre compte des causes que Rousseau assigne а ce changement.

Car, si nous regardons le tableau ci-joint de l’йtat de nature (cf. p. suivante), il manque un йlйment moteur. rein dans les caractйristiques de l’йtat de nature n’indique que l’homme peut en sortir et se socialiser.

Quoi qu’il en soit de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu’a pus la nature de rap­procher les hommes par des besoins mutuels et de leur faciliter l’usage de la parole, combien elle n peu prйparй leur sociabilitй, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu’ils ont fait poux

en йtablir les liens. En effet, il est impossible d’imaginer pourquoi, dans cet йtat primitif, un homme aurait plutфt besoin d’un autre homme, qu’un singe ou un loup de son semblable; ni, ce besoin supposй, quel motif pourrait engager l’au­tre а y pouvoir, ni mкme, en ce dernier cas, com­ment ils pourraient convenir entre eux ces condi­tions. Je sais qu’on nous rйpиte sans cesse que rien n’eыt йtй si misйrable que l’homme dans cet йtat ; et, s’il est vrai, comme je crois l’avoir prouvй, qu’il n’eыt pu qu’aprиs bien des siиcles avoir le dйsir et l’occasion d’en sortir, ce serait un procиs а faire а la nature, et non а celui qu’elle aurait ainsi constituй.

Rien dans la constitution de l’HEN ne lui permet de changer de lui-mкme de condition

Aprиs avoir prouvй que l’inйgalitй est а peine sensible dans l’йtat de nature, et que son influence y est presque nulle, il me reste а montrer son ori­gine et ses progrиs dans les dйveloppements suc­cessifs de l’esprit humain. Aprиs avoir montrй que la perfectibilitй, les vertus sociales, et les autres facultйs que l’homme naturel avait reзues en puissance, ne pouvaient jamais se dйvelopper d’elles-mкmes, qu’elles avaient besoin pour cela du con­cours fortuit de plusieurs causes йtrangиres, qui pouvaient ne jamais naоtre, et sans lesquelles il fыt demeurй йternellement dans sa condition pri­mitive, il me reste а considйrer et а rapprocher les diffйrents hasards qui ont pu perfectionner la raison humaine en dйtйriorant l’espиce, rendre un кtre mйchant en le rendant sociable, et d’un terme si йloignй, amener enfin l’homme et le monde au point oщ nous le voyons.

Quelles sont ces « causes йtrangиres » qui vont faire de la perfectibilitй une facultй en acte, et non plus seulement en puissance ?

On trouve la rйponse dans notre texte. c’est la nature qui place l’homme «а des distances йgales . etc… ». Au dйbut de la seconde partie, Rousseau dit que les hommes sont « forcйs » de vivre ensemble ; que des difficultйs « se prйsentиrent qu’il fallut apprendre а vaincre». L’impersonnel utilisй ici indique que ce qui change ce n’est pas l’homme, mais la nature. «ce serait un procиs а faire а la nature, et non а celui qu’elle aurait ainsi constituй » L’homme n’est donc pas un кtre failli (comme par exemple dans la Genиse). Il n’a pas changй de nature en devenant social. Ce n’est pas lui qui a changй, c’est la nature (ou Dieu ?) ; ainsi si l’homme n’est pas originellement mauvais, on peut espйrer peut-кtre retrouver la douceur originelle du bon sauvage (perspective dйveloppйe par Rousseau dans l’Emile) mais, а dйfaut, fonder une sociйtй plus juste, un havre d’йgalitй fondй sur la raison. le contrat social.

3– Les deux premiers paragraphes. le passage de l'йtat de nature а l'histoire ; perspectives descriptives et thйoriques

Revenons а prйsent а l’opposition mentionnйe en introduction. а mesure que # sitфt que . entre une dйmarche descriptive et un point de vue thйorique.

Cette opposition est constante depuis le dйbut de la seconde partie :

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire Ceci est а moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la sociйtй civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misиres et d’horreurs n’eыt point йpargnйs au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossй, eыt criй а ses semblables. Gardez-vous d’йcouter cet imposteur; vous кtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont а tous, et que la terre n’est а personne. Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en йtaient dйjа venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles йtaient; car cette idйe de propriйtй, dйpendant de beaucoup d’idйes antйrieures qui n’ont pu naоtre que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain. Il fallut faire bien des progrиs, acquйrir bien de l’industrie et des lumiиres, les transmettre et les augmenter d’вge en вge, avant que d’arriver а ce dernier terme de l’йtat de nature. Reprenons donc les choses de plus haut et tвchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d’йvйnements et de connaissance

dans leur ordre le plus naturel.

On a ainsi l'opposition de deux dйmarches. l'une thйorique vise а assigner а l'histoire un point de dйpart ; quel est l'йvйnement, ou le changement dйcisif ayant dйclenchй le processus historique, c'est а dire ayant entraоnй tous les autres. L'autre descriptive vise la vraisemblance. Il s'agit ici de concilier l'histoire et la philosophie de l'histoire. Lа, on ne va plus se fixer un point de dйpart prйcis, mais plutфt dйcrire une " lente succession d'йvйnements dans leur ordre le plus naturel ."

3.1 - Le point de vue descriptif

Reprenons le tableau prйcйdent et notons la succession des progrиs :

1° progrиs (colonne b) :

Le mouvement de l'histoire part de changements ou de bouleversements naturels. C'est l'espace de l'homme naturel qui se trouve changй. Des "obstacles " se prйsentent dans le cours harmonieux de la nature. L'espace se divise. les continents et les оles se forment, obligeant les hommes а vivre ensemble.

De grandes inondations ou des tremblements de terre environnиrent d’eaux ou de prйcipices des cantons habitйs; des rйvolutions du globe dйtachиrent et coupиrent en оles des portions du continent. On conзoit qu’entre des hommes ainsi rapprochйs et forcйs de vivre ensemble

Ceci va provoquer l'apparition des premiиres techniques et leur conservation. Et mкme si les unions sont а court terme, il y a lа un progrиs dans la relation de l'homme naturel et du temps ; il commence а s'installer dans la durйe. C'est d'ailleurs d'abord l'habitude, "l'application rйitйrйe ", qui va amener progressivement cette pensйe de la durйe.

Cette application rйitйrйe des кtres divers а lui-mкme, et des uns aux autres, dut naturellement engendrer dans l’esprit de l’homme les per­ceptions de certains rapports. Ces rapports que nous exprimons par les mots de grand, de petit, de fort, de faible, de vite, de lent, de peureux, de hardi, et d’autres idйes pareilles, comparйes au besoin, et presque sans y songer, produisirent enfin chez lui quelque sorte de rйflexion, ou plutфt une prudence machinale qui lui indiquait les prйcautions les plus nйcessaires а sa sыretй.

Les changements de la nature vont contraindre l'homme а dйvelopper des techniques de chasse, de protection des intempйries, etc..;

Mais il se prйsenta bientфt des difficultйs ; il fallut apprendre а les vaincre. la hauteur des arbres qui l’empкchait d’atteindre а leurs fruits, la concurrence des animant qui cherchaient а s’en nourrir la fйrocitй de ceux qui en voulaient а sa propre vie, tout l’obligea de s’appliquer aux exercices du corps; il fallut se rendre agile, vite а la course, vigoureux au combat. Les armes naturelles, qui sont les branches d’arbres et les pierres, trouvиrent bientфt sous sa main. Il apprit а surmonter les obstacles de la nature, а combattre au besoin les autres animaux, а disputer sa subsis­tance aux autres hommes mкmes, ou а se dйdommager de ce qu’il fallait cйder au plus fort.

On assiste а la formation des premiиres associations. Mais ce sont tout au plus des troupeaux oщ le lien est l'intйrкt et la sыretй, et qui ne survivent pas а ces intйrкts.

Instruit par l’expйrience que l’amour du bien-кtre est le seul mobile des actions humaines, li se trouva en йtat de distinguer les occasions rares oщ l’intйrкt commun devait le faire compter sur l’as­sistance de ses semblables, et celles plus rares encore oщ la concurrence devait le faire dйfier d’eux.

Dans le premier cas, il s’unissait avec eux en trou­peau, ou tout au plus par quelque sorte d’association libre qui n’obligeait personne, et qui ne durait qu’autant que le besoin passager qui l’avait formйe. Dans le second, chacun cherchait а pren­dre ses avantages, soit а force ouverte, s’il croyait le pouvoir, soit par adresse et subtilitй, s’il se sentait le plus faible.

Voilа comment les hommes purent insensible­ment acquйrir quelque idйe grossiиre des engage­ments mutuels, et de l’avantage de les remplir, mais seulement autant que pouvoir l’exiger l’in­tйrкt prйsent et sensible ; car la prйvoyance n’йtait rien pour eux ; et, loin de s’occuper d

un avenir йloignй, Ils ne songeaient pas mкme au lendemain. S’agissait-il de prendre un cerf, chacun sentait bien qu’il devait pour cela garder fidиlement son poste ; mais si un liиvre venait а passer а la portйe de l’un d’eux, il ne faut pas douter qu’il ne le poursuivit sans scrupule, et qu’ayant atteint sa proie il ne se souciвt fort peu de faire manquer la leur а ses compagnons.

Le langage qui correspond а ce stade sera un langage pratique, signalйtique, limitй au simple йchange de signaux (chasse…)

Il est aisй de comprendre qu’un pareil commerce n’exigeait pas un langage beaucoup plus raffinй que celui des corneilles ou des singes qui s’attroupent а peu prиs de mкme. Des cris inarticulйs beaucoup de gestes et quelques bruits Imitatifs, durent composer pendant longtemps la langue universelle

La mise en valeur de ces facultйs va bientфt amener les hommes а se comparer aux autres animaux. Ce qui va leur faire dйcouvrir l'originalitй de leur espиce face aux autres espиces. Il n'y a pas encore ici de comparaison d'homme а homme, mais reconnaissance d'une simple identitй de conformation.

Les nouvelles lumiиres qui rйsultиrent de ce dйveloppement augmentиrent sa supйrioritй Sur les autres animaux en la lui faisant connaоtre. Il s’exerзa а leurs dresser des piиges, il leur donna le change en mille maniиres; et quoique plusieurs le surpassassent en force au combat, ou en vitesse а la course, de ceux qui pouvaient lui servir ou lui nuire, il devint avec le temps le maоtre des uns et le flйau des autres. C’est ainsi que le premier regard qu’il porta sur lui-mкme y produisit le premier mouvement d’orgueil; c’est ainsi que sachant encore а peine distinguer les rangs, et se contemplant au premier par son espиce, il se prйparait de loin а y prйtendre par son individu,

Quoique ses semblables ne fussent pas pour lui ce qu’ils sont pour nous, et qu’il n’eыt guиre plus de commerce avec eux qu’avec les autres ani­maux, ils ne furent pas oubliйs dans ses observa­tions. Les conformitйs que le temps put lui faire apercevoir entre eux, sa femelle et lui-mкme, lui firent juger de celles qu’il n’apercevait pas; et, voyant qu’ils se conduisaient toue comme il aurait fait en pareilles circonstances, il conclut que leur maniиre de penser et de sentir йtait entiи­rement conforme а la sienne et cette Importante vйritй, bien йtablie dans son esprit, lui fit suivre, par un pressentiment aussi sыr et plus prompt que la dialectique, les meilleures rиgles de conduite que, pour son avantage et sa sыretй, il lui convint de garder avec eux

Du troupeau а la sociйtй, l'avиnement du sujet. (colonne "c")

"ces premiers progrиs mirent enfin l'homme а portйe d'en faire de plus rapides "

C'est encore par une transformation de l'espace que se marque en premier le progrиs. Les premiиres huttes font leur apparition entraоnant la vie en famille, puis en tribu, voire en nations. On en reste cependant encore au stade de l'appropriation. pas de reconnaissance du droit de propriйtй.

Cette fixation de l'homme en un lieu entraоne encore un progrиs dans sa perception de la durйe. Notre texte note l'apparition des premiиres coutumes, des premiers rites. Le temps n'est plus seulement tournй vers la survie, mais vers le loisir.

Sur le plan des techniques de la vie pratique. le fait le plus marquant est peut-кtre la division sexuйe du travail.

Chaque famille devint une petite sociйtй d’autant mieux unie, que l’attachement rйcipro­que et la libertй en йtaient les seuls liens ; et ce fut alors que s!йtablit la premiиre diffйrence dans la maniиre de vivre des deux sexes, qui jusqu’ici I n’en avoient en qu’une. Les femmes devinrent plus sйdentaires, et s’accoutumиrent а garder la cabane et les enfants, tandis que l’homme allait chercher la subsistance commune. Les deux sexes commencиrent aussi, par une vie un peu plus molle, & perdre quelque chose de leur fйrocitй et de leur vigueur. Mais si chacun sйparйment devint moins propre а combattre les bкtes sauvages, en revan­che il fut plus aisй de s’assembler pour leur rйsis­ter en commun.

Socialisation. le fait marquant est l'apparition des familles et des sentiments durables. amour paternel et amour conjugal.

Les premiers dйveloppements du cњur furent l’effet d’une situation nouvelle qui rйunissait dans une habitation commune les maris et les femmes, les pиres et les enfants. L’habitude de vivre ensem­ble fit naоtre les plus doux sentiments qui soient connus des hommes, l’amour conjugal et l’amour paternel.

Bien sыr, de ces progrиs s’ensuivent le dйveloppement des premiиres langues :

On conзoit qu’entre des hommes ainsi rapprochйs et forcйs de vivre ensemble-, Il dut se former un Idiome commun plutфt qu’entre ceux qui erraient librement dans les forкts de la terre ferme. Ainsi il est trиs possible qu’aprиs leurs premiers essais de navigation, des insulaires aient portй parmi nous l’usage de la parole et il est au moins trиs vraisemblable que la sociйtй et les langues ont pris naissance dans les оles, et s’y sont perfectionnйes avant que d’кtre connues dans le continent.

Enfin, le progrиs le plus important. le passage au qualitatif, du besoin au superflu. on passe de la sexualitй comme nйcessitй de survie de l’espиce, inscrite dans l’instinct, а l’apprйciation qualitative et йlective, c’est а dire а l’amour.

Un voisinage permanent ne peut manquer enfin d’engendrer quelque liaison entre diverses familles. Des jeunes gens de diffйrents sexes habitent des cabanes voisines ; le commerce passa­ger que demande la nature en amиne bientфt un autre non moins doux et plus permanent par la frйquentation mutuelle. On s’accoutume а consi­dйrer diffйrents objets et а faire des comparaisons ; on acquiert Insensiblement des Idйes de mйrite et de beautй qui produisent des sentiments de prйfйrence. A force dй se voir, on ne peut plus se passer de se voir encore. Un sentiment tendre et doux s’insinue dans l’&tne, et par la moindre opposition devient une fureur impйtueuse; la jalousie s’йveille avec l’amour; la discorde triom­phe, et la plus douce des passions reзoit des sacri­fices de sang humain.

Ces apprйciations mutuelles font apparaоtre la conscience de soi, et le dйsir d’кtre reconnu, par la mйdiation du regard de l’autre « chacun voulu кtre regardй et l’estime publique eut un prix »

Ainsi, dans cette perspective descriptive, l’йlйment moteur du progrиs йtait initialement la nйcessitй vitale, а laquelle se substitue bientфt le plaisir et les donnйes qualitatives (estime, beautй, habiletй etc…) Cette progression culmine avec l’apparition du sujet dans l’histoire.

3.2 Le point de vue thйorique

Pour Rousseau, une telle succession reste trop diffuse. Il cherche « а rassembler sous un seul point de vue », а unir synthйtiquement la lente succession d’йvйnements que nous venons de dйcrire. Le « Sitфt que …» indique cette volontй de marquer nettement la rupture. Il s’agit de dйfinir un point d’origine thйorique, sorte « d’instant mathйmatique » qui puisse кtre dit le point de dйpart de l’histoire.

Quel йvйnement peut-il rйaliser cette unitй ?

Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire. « ceci est а moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vйritable fondateur de la sociйtй civile.

On remarquera la concision de la phrase, qui s’oppose point par point а la synthиse de l’йtat de nature rйalisйe par Rousseau а la fin de la premiиre partie du Discours (cf. plus haut, page

L’apparition du moi. d’un sujet et d’une volontй ?

L’idйe de la considйration se fut formйe dans leur esprit и il ne fut plus possible d’en manquer impunйment pour personne и tout tort volontaire devint un outrage и mйpris de la personne plus insupportable que le mal mкme

Apprйciations mutuelles и considйration personnelle и tort volontaire и injure personnelle и prйdominance de l’кtre pensant sur la vie

ou les deux confondus dans la dйcouverte de l’intйrкt propre ?

« Il ne saurait y avoir d’injure lа oщ il n’y a point de propriйtй »

Le nњud de l’interprйtation rousseauiste de l’histoire est lа. la dйcouverte de l’amour propre, la dйcouverte que nous avons un intйrкt particulier distinct de l’intйrкt gйnйral, est l’un des deux acquis de notre entrйe dans l’histoire. Les hommes l’on fait dans leur histoire ; chaque individu en refait l’expйrience dans son histoire personnelle. Dans le mкme temps, nous faisons apprenons que nous ne pouvons кtre nous mкme qu’au sein d’une sociйtй, et que la conscience que nous avons de nous mкme est redevable а autrui.

La vie sociale engendre donc d’elle-mкme une contradiction. c’est elle qui fait de nous des sujets conscients, et comme tels rivaux dans leurs intйrкts.

// avec les confessions. C’est cette contradiction que Kant repиrera ensuite comme insociable sociabilitй. а la fois moteur de l’histoire et source de l’iniquitйs.

C’est pour cette raison que la perfectibilitй n’est pas comme les lumiиres l’avaient pensйe (cf. Condorcet) la source univoque d’un progrиs moral. mais aussi ce qui conduit vers l’inйgalitй. La suite du discours n’est que la description de cette chute oщ, d’injustices en duperies, de faux contrats en aliйnations, les sociйtйs humaines sombrent peu а peu dans l’exploitation de l’homme par l’homme.

Mais aussi, puisqu’il n’y a pas de fatalitй naturelle а ces inйgalitйs, puisqu’elles ne sont que le produit d’une histoire, on peut espйrer rйformer le monde de l’homme. Ce que l’homme a commis comme systиme inйgalitaire, l’homme pourrait le refaire dans le sens du bien. Ce sera la tвche du contrat social, qui est possible а tout moment de l’histoire, comme sociйtй la mieux qu’elle puisse кtre, mкme si elle est un йquilibre fragile.

[1] L’introduction qui suit йtait celle du cours de CPGE, programme 1996/97, consacrй а une prйsentation des Confessions de Rousseau ; comme j’y йtablissais un parallиle entre les Confessions et le Discours sur l’origine de l’inйgalitй. j’ai pensй le reprendre ici.

Le cours a йtй pour la plus grande part rйdigй en 1981 а l’occasion d’une intervention devant l’association des professeurs de philosophie de Bretagne

[2] La pagination de ce cours renvoie а l’йdition GF Flammarion, bien que j’en conteste le parti pris йditorial qui consiste а placer en fin de page les notes de Rousseau, contre la volontй exprиs de l’auteur. « J’ai ajoutй quelques notes а cet ouvrage selon ma cou­tume paresseuse de travailler а bвtons rompus. Ces notes s‘йcartent quelquefois assez du sujet pour n ‘кtre pas bonnes а lire avec le texte. Je les ai donc rejetйes а la fin du Discours dans lequel j’ai tвchй de suivre de mon mieux le plus droit chemin. Ceux qui auront le courage de recommencer pourront s’amuser la seconde fois а battre les buissons, et de parcourir les notes; il y aura peu de mal que les autres ne les lisent point du tout ».

[3] Hobbes (1588-1679). L’homme est un loup pour l’homme

Les hommes ne retirent pas d’agrйment (mais au contraire un grand dйplaisir) de la vie en compagnie, lа oщ il n’existe pas de pouvoir capable de les tenir tous en respect. Car chacun attend que son compagnon l’estime aussi haut qu’il s’apprйcie lui-mкme, et а chaque signe de dйdain, ou de mйsestime, il s’efforce naturellement, dans toute la mesure oщ il l’ose (ce qui suffit largement, parmi les hommes qui n’ont pas de commun pouvoir qui les tienne en repos, pour les conduire а se dйtruire mutuel­lement), d’arracher la reconnaissance d’une valeur plus haute. а ceux qui le dйdaignent, en leur nuisant; aux autres, par de tels exemples).

De la sorte, nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelle. premiиrement, la rivalitй; deuxiиmement, la mйfiance; troisiиmement, la fiertй.

La premiиre de ces choses fait prendre l’offensive aux hommes en vue de leur profit. La seconde, en vue de leur sйcuritй. La troisiиme, en vue de leur rйputation. Dans le premier cas, ils usent de violence pour se rendre maоtres de la personne d’autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour dйfendre ces choses. Dans le troisiиme cas, pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffиre de la leur, ou quelque autre signe de mйsestime, que celle-ci porte directement sur eux-mкmes, ou qu’elle rejaillisse sur eux, йtant adressйe а leur parentй, а leurs amis, а leur nation, а leur profession, а leur nom.

Il apparaоt clairement par lа qu’aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect , ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. Car la Guerre ne consiste pas seulement dans la bataille ou dans les combats effectifs; mais dans un espace de temps oщ la volontй de s’affronter en des batailles est suffisamment avйrйe. on doit par consйquent tenir compte, relativement а la nature de la guerre, de la notion de durйe, comme on en tient compte, relativement а la nature du temps qu’il fait.

T. HOBBES, Lйviathan, Paris, Sirey, 1971, trad. F. Tricaud, pp. 123-124.

[4] Si le plan que nous indiquions ci-dessus est fidиle, on peut considйrer que ce texte est une sorte d’apex, d’йminence, d’oщ l’on peut observer la totalitй du mouvement du Discours .

[5] Cf. G. Canguilhem, Etudes d’histoire et de philosophie des sciences. 1970, Vrin, p. 364. En fait, l’erreur humaine ne fait probablement qu’un avec l’errance. L’homme se trompe parce qu’il ne sait oщ se mettre. L’homme se trompe quand il ne se place pas а l’endroit adйquat pour recueillir une certaine information qu’il recherche

[6] On pourrait йgalement recourir а la mйtaphore de la « mesure pour rien », а toutes ces indications qui figurent au dйbut d’une partition musicale, qui ne sont pas de la musique, mais qui sont indispensable pour la lire.